16 novembre 2024

Les enjeux sociétaux, énergétiques, environnementaux, juridiques et fiscaux de la blockchain

1 –  les enjeux sociétaux de la blockchain

Les enjeux des blockchains se posent à diverses échelles, et doivent être appréciés d’un point de vue global qui tienne compte de leurs défis technologiques, juridiques, fiscaux, mais aussi et surtout culturels.

Les registres décentralisés publics posent les bases d’une nouvelle économie en s’appuyant sur plusieurs piliers :

  • La décentralisation et la désintermédiation des sociétés, qui redessinent un nouveau paradigme de confiance.
  • L’immutabilité et la transparence totale des registres distribués, rendant l’information accessible à tous et traçable.

Des concepts portés par les valeurs profondément libertariennes des puristes du crypto-écosystème, qui devront relever de nombreux défis pour imposer leur vision du monde.

                        1-1 blockchain et décentralisation :

La décentralisation est l’un des premiers objectifs de la blockchain Bitcoin.

La crise des subprimes montre à l’époque les dérives d’un système accordant une confiance et un pouvoir considérable aux banques, poussant le créateur de Bitcoin à inventer un système d’échange décentralisé laissé aux mains de ses utilisateurs. La cryptomonnaie est donc le premier cas d’usage, et à l’heure actuelle, le plus utile et le seul révolutionnaire, de décentralisation grâce aux registres blockchain, en permettant à toute personne du monde entier d’envoyer de l’argent en temps réel à n’importe qui, sans avoir à ouvrir de compte en banque.

Peu à peu, de plus en plus d’experts se sont également intéressés à des cas où la décentralisation pourrait profiter à tout type d’organisation économique, en posant les bases éthiques d’un nouveau modèle de gouvernance, qui pourrait donc tout aussi bien s’appliquer en politique.

C’est en partie à ces dérives que certains experts souhaitent répondre en s’appuyant sur les technologies de blockchain pour proposer un nouvel espace d’échange décentralisé, sans autorité de contrôle, sans tiers de confiance, et sans hiérarchie.

L’objectif final étant de démocratiser la transaction, quelle que soit sa nature, en offrant à tout un chacun la possibilité d’être maître de son destin sans avoir à le confier entre les mains d’une autorité tierce. A l’heure actuelle, les trois principaux cas d’application de ces principes concernent :

  • La transaction monétaire grâce aux cryptomonnaies, en offrant à tous les citoyens du monde, même débancarisés et quelles que soit leurs ressources, d’accéder à des services financiers ;
  • Les modes de consommation, en permettant de garantir la traçabilité de chaque produit en associant blockchain et IdO (Internet des Objets), résolvant ainsi les fortes asymétries d’information entre producteurs et consommateurs,
  • Le vote politique, en instituant un système de vote décentralisé 100% sécurisé et anonyme, ouvrant un nouveau champ des possibles pour les pays où la corruption bat son plein.

                        1-2 blockchain et désintermédiation :

La désintermédiation, autrement dit l’élimination des tiers de confiance, va de pair avec l’idéal de décentralisation libertarien porté par Satoshi Nakamoto, créateur du bitcoin. Dans un système d’échange de valeur décentralisé, la confiance n’est plus cédée à un intermédiaire, car les échanges se font en pair-à-pair. Cette confiance ne repose désormais plus sur le jugement humain, mais sur la fiabilité technique et l’impartialité du code informatique. Ce changement de paradigme est synthétisé dans la célèbre devise « le code est la loi », et vise à court-circuiter tous les intermédiaires coûteux et non nécessaires.

 Les premiers intermédiaires visés sont bien entendu les banques, mais beaucoup d’équipes porteuses de projets blockchain entendent étendre leur champ d’intervention à un panel d’intermédiaires nettement plus large, qui concerne aussi bien les intermédiaires financiers qu’institutionnels ou économiques. La désintermédiation reste l’un des principes les plus chers aux communautés s’intéressant aux blockchains et aux cryptomonnaies. Ce principe porte un idéal d’émancipation au moins aussi important que celui de la décentralisation, car un tiers de confiance possède souvent tout autant de pouvoir qu’un organisme de contrôle, les deux, bien souvent, ne faisant qu’un.

La suppression des tiers de confiance encourage un nouvel idéal basé sur une gouvernance participative et pair-à-pair, qui trouve son paroxysme avec les DAO (Decentralized Autonomous Organisations), organisations décentralisées et entièrement autonomes, ne nécessitant aucune intervention humaine.

Deux questions se posent alors :

  • D’un point de vue économique, on doit s’interroger sur le phénomène de destruction créatrice que définit Schumpeter, qui doit nous laisser espérer que les différentes blockchains créeront plus d’emplois qu’elle n’en détruiront pour impacter un changement économique positif.
  • D’un point de vue social, la question est de savoir, à l’heure où la société cherche davantage à se ré-humaniser qu’à s’automatiser, dans quelle mesure nous sommes disposés à nous passer de ces tiers pour automatiser la transaction en plaçant notre confiance dans un code informatique.

                        1-3 blockchain et confiance :

La notion de confiance est donc au cœur des enjeux des blockchains et des cryptomonnaies. En introduisant l’idéal de désintermédiation, elle introduit également la notion de « trustless », c’est-à-dire d’un système n’ayant pas besoin de confiance entre ses utilisateurs pour fonctionner. Pour que le système fonctionne, il suffit d’avoir confiance en son code (« le code est la loi »).

Pourtant, le code et le fonctionnement d’une blockchain dépendront toujours d’actions humaines : celles des développeurs, des nœuds du réseau, et de l’usage que ses utilisateurs en font.

La question de la légitimité est ici essentielle : l’humain est-il plus digne de confiance que le code ? Peut-on prévoir de réintroduire une couche supplémentaire sur une blockchain pour permettre une intervention humaine, sans risquer de rompre entièrement ses fondements et ses principes ? De même, peut-on raisonnablement considérer que l’immutabilité de la blockchain est un dogme inébranlable si celle-ci reste imparfaite pour garantir une gouvernance décentralisée correctement coordonnée ?

Le principal enjeu des blockchains n’est ni juridique, ni réglementaire, ni fiscal. Cet enjeu se situe bien davantage d’un point de vue éthique et sociétal, et implique une réflexion profonde sur ce que nous attendons de la technologie, pour ne pas confondre la fin avec les moyens.

2 –  les enjeux énergétiques et environnementaux de la blockchain

Les principales blockchains publiques, telles que Bitcoin et Ethereum reposent sur la preuve de travail. Elles supposent donc une compétition mondiale de puissance de calcul afin d’effectuer un maximum de fonction de hachage. Ces concours de calcul sont réitérés à des intervalles donnés : soit dix minutes pour le bitcoin et quinze secondes pour l’ethereum. La somme gagnée par un mineur est proportionnelle à sa puissance de calcul.

Cette course se traduit par une augmentation presque exponentielle du nombre de hashs effectués, qui s’observe en suivant la croissance du taux de hachage (hashrate) des différentes cryptomonnaies. Face à l’explosion des cours, la réduction par deux de tous les quatre ans de recompenses de minage (appelé « halving ») prévue par le protocole de Nakamoto apparait nettement insuffisante pour jouer son rôle de régulation de la compétition.

Ce besoin en puissance de calcul se traduit directement en une consommation électrique considérable. Son estimation fait l’objet de débats, mais, contrairement à ce qui est régulièrement défendu, notamment par des promoteurs du bitcoin, une estimation minimale exprimée avec certitude est toutefois réalisable.

Les blockchains posent donc les questions essentielles de leurs impacts énergétiques et environnementaux, compte-tenu des besoins considérables en électricité des blockchains fondées sur la preuve de travail.

Cette mauvaise réputation des blockchains en termes d’impact écologique n’est pas liée à la technologie en elle-même mais plus précisément au protocole de validation des blocs émis sur les Blockchains en question. Le mécanisme de preuve de travail est utilisé sur Bitcoin et Ethereum, qui sont les deux Blockchains qui ont permis de mettre en lumière les points forts de la technologie Blockchain depuis 2008. Ainsi, est apparu un contre-argument de poids face à l’émergence de cette technologie, celui de l’impact écologique important.

Si cet impact semble en effet important, des solutions existent. Elles consistent à mettre en place de nouveaux protocoles de validation des blocs en utilisant notamment la preuve d’enjeu ou la preuve d’enjeu déléguée. Ces protocoles ne consomment que très peu d’énergie. Les Blockchains de 3ème génération que sont EOS (crypto-monnaie lancée le 14 juin 2018), Tezos (crypto-monnaie créée le 20 juin 2018) ou encore Ark (crypto-monnaie lancée en février 2017) ont toutes adopté ce type de protocole.

Enfin, les mauvais élèves Bitcoin et Ethereum innovent eux aussi pour réduire leur empreinte carbone en mettant en place le Lightning Network pour Bitcoin et en organisant le passage d’un protocole de preuve de travail à un protocole de preuve d’enjeu pour Ethereum. Ce qui permettra de réduire l’impact écologique de 99%. Ainsi, technologie Blockchain et développement durable apparaissent aujourd’hui plus que jamais compatibles.

3 – Les enjeux juridiques de la blockchain

En raison de leurs caractéristiques d’immuabilité, de distribution globale et de libre participation, les blockchains publiques posent des questions inédites aux législateurs nationaux. Celles-ci portent notamment sur le régime fiscal, le cadre juridique ou la protection des données personnelles. Si des alternatives se développent ou sont annoncées, aucune blockchain publique populaire ne semble aujourd’hui en mesure de lever tous les obstacles juridiques révélés par le bitcoin.

Les enjeux juridiques de la blockchain sont considérables. Le régime fiscal des cryptomonnaies est le point le plus débattu mais le statut des transactions opérées via la blockchain, la valeur juridique des smart contracts, l’opacité des opérations menées souvent sous couvert d’anonymat, sont autant de sujets qui demeurent en discussion.

Le cas d’usage originel de la cryptomonnaie (bitcoin, ether) et plus globalement des jetons numériques, dits « tokens », est de représenter une valeur. Le token peut être une valeur en tant que tel, ou bien la représentation d’une valeur (qui a alors été «tokenisé» sur la blockchain, si l’on peut dire). Se pose alors la question : quel est le statut juridique de ce token, et donc de cette valeur ? Autrement dit, quel poids juridique aura ce token devant un tribunal ?

Cette question est importante, car si l’on considère qu’il existe bel et bien une valeur derrière ces tokens, alors le transfert de ces tokens entraine un transfert de valeur.

Or ce transfert implique potentiellement des problématiques de responsabilité et d’accord entre les parties concernées par cet échange – soit potentiellement des individus pouvant être lésées, ou des entreprises pour lesquelles le critère de validité de transactions commerciales peut reposer sur ce transfert de token.

La qualification juridique de ce token et le « poids » juridique qui va en découler est la plus importante des questions juridiques liées à la blockchain, d’autant plus sur les blockchains publiques où le token a une importance particulière.

En ce qui concerne le statut juridique du smart contract, pour le moment, il n’est a priori pas considéré comme un contrat au sens juridique du terme. Un smart contract est considéré comme un contrat s’il remplit les conditions classiques de formation d’un contrat : une offre, et une acceptation qui respecte l’ensemble des conditions de validité nécessaires (que sont le consentement, la capacité, l’absence de dol, d’erreur, etc). Ces conditions sont précisément définies dans le Code Civil.

La question à se poser consiste donc à savoir si un smart contract peut remplir toutes ces conditions. Cela semble difficile, notamment en raison de l’obligation d’une formalisation claire de l’offre, et d’une acceptation éclairée et valable de l’offre par le cocontractant. Cela implique que le contractant soit une personne majeure, en capacité de comprendre l’intégralité des termes de la proposition, ne faisant pas d’erreur, et ne subissant pas de pression pour l’acceptation du contrat. Toutes ces conditions ne sont pas facilement vérifiables via un smart contract. En particulier, un des principaux défis est de savoir si la personne contractante a véritablement compris le code développé dans le programme, et donc le contenu du smart contract.

Une autre problématique majeure réside dans l’identification de la personne contractante. Une clé privée peut être volée, et/ou détenue par de multiples individus différents. En outre une personne peut souhaiter rester anonyme dans une transaction (et pas nécessairement pour des raisons illégales).

En outre, de nombreux smart contracts n’opèrent pas de rapports d’obligation au sens juridique, or ce rapport d’obligation constitue un élément définissant un contrat. C’est le cas notamment des smart contracts complexes comme les marchés prédictifs.

Plus simplement, le cas d’un smart contract générant des tokens ne constitue aucunement un contrat juridique. Il n’y a en effet alors aucun rapport d’obligation entre différentes parties. De même, il est possible de programmer un smart contract gérant le contexte de l’horodatage d’un document et de son envoi sur la blockchain : là encore, il n’existe pas de rapport d’obligation entre les parties.

En somme, le terme smart contract est rendu ambigu par une mauvaise interprétation du mot « contract ». Il ne faut pas oublier qu’un smart contract est avant tout du code informatique.

Aussi, la situation juridique de la blockchain en tant de registre pose problème. Il n’y a aucune reconnaissance de la blockchain en tant que registre. Il existe toutefois des initiatives en cours.

Ces initiatives juridiques sont intéressantes car elles montrent l’intérêt du législateur pour la blockchain en tant que registre, donc en tant que support de preuve, plutôt qu’instrument de réalisation de transactions. Il n’existe cela étant pour le moment aucun cadre juridique reconnaissant la blockchain comme un registre.

Si l’on souhaite se servir d’une inscription sur la blockchain comme preuve juridique (ce que proposent les startups spécialisées dans la preuve de document sur la blockchain), l’utilisation de ces inscriptions va nécessiter de démontrer au juge que cet enregistrement a été réalisé techniquement dans des conditions qui permettent de garantir :

  • l’authenticité de l’information enregistrée
  • le fait que l’information enregistrée correspond bien au document enregistré
  • le fait que la personne qui a enregistré l’information est bien la personne qui prétend être l’auteur de l’enregistrement.

A ces enjeux, il faut ajouter les risques d’utilisation frauduleuse du bitcoin à des fins de financement d’activités illégales, le risque d’insertion de données illégales (intégration des données non-financières dans chaque transaction d’un bloc), les cas de non protection des données personnelles.

4 – Les enjeux fiscaux de la blockchain

La problématique du « flou » fiscal entourant les activités touchant à la blockchain pose en fait la question du statut des cryptomonnaies : doivent-elles être considérées comme des monnaies ou des biens ?

La diversité des opérations sur la blockchain pose de nombreux problèmes en comptabilité et surtout sur le plan fiscal. Les opérations touchent l’impôt sur les sociétés et la TVA mais aussi les cotisations et contributions sociales, la taxe sur les salaires, l’impôt sur le revenu.

L’imprécision qui pèse aujourd’hui sur le traitement fiscal des opérations apparaît également comme un frein au développement des blockchains dans nos pays.

La nature juridique des actifs numériques reste imprécise, donc difficilement prise en compte par la réglementation.

Il s’avère nécessaire de clarifier, par des lois, les régimes fiscaux des cybermonnaies et tokens (opérations d’achat et de vente, les échanges). Il sera également nécessaire de clarifier l’exonération des échanges d’actifs numériques de la taxe sur la valeur ajoutée.

N.B: ces articles sont des extraits des publications du Dr. Adama TRAORE

Les anciens numéros du laboratoire du week-end :

La technologie blockchain (définition et explication)

La technologie blockchain (fonctionnement)

La technologie blockchain (les différents types de blockchain)

Les applications de la technologie blockchain

Utilisation de la blockchain dans le secteur financier

La sécurité renforcée et le nouveau web 3.0 avec la blockchain

Dans les prochains articles du « laboratoire du week-end » à venir, vous aurez d’autres articles sur la blockchain, à savoir:

– Les conditions de réussite d’un projet blockchain

– Des étapes d’implémentation d’un projet blockchain (sélection et initialisation de la blockchain, choix du bon protocole de consesnsus, exécution de son premier « smart contract », déboguage…)